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Les outils du Patient Partenaire

EXTRAIT de l'écrit réflexif rédigé par une malade chronique, pour amorcer une réflexion, une discussion.... puis pour informer, soutenir, "évéiller" les malades et leur entourage !

EXTRAIT de l'écrit rédigé par Anne DD

RAPPEL : ceci est un récit personnel d'une malade du myélome multiple; ses reflexions et son évolution grâce aux outils présentés lors de la formation de Patient Partenaire à l'Université des Patients - Sorbonne Univesité [année 2023-2024]

MOMENTUM CHAPITRE 5

Groupe de soutien

Chapitre 5.

Vivre avec une longue maladie

5.1 Care & interdépendance

5.2 Le counseling

5. VIVRE AU MIEUX AVEC UNE LONGUE MALADIE

      5.1   La notion de care et d'interdépendance

Le care est une notion philosophique d’origine américaine qui signifie à la fois l’attention, le soin, le souci et la sollicitude ; il a été utilisé pour la première fois par Carol Gilligan [29], c’est globalement « le souci des autres et la volonté d’entretenir les liens tissés avec eux ».

Avec l’émergence de nouveaux cancers et des maladies chroniques, la pratique médicale a dû s’adapter à ces patients ; le care recouvre non seulement les soins d’entretien et de maintien de la vie (pour limiter la progression de la maladie) mais comprend également l’accompagnement, qui devient un soin lui-même (prendre soin).

L’éthique du care permet un positionnement médical bienveillant adapté à l’individu et à la temporalité du malade (Matignon, 2023).

 

Un exemple d’application du care dans la relation de soin est l’éducation thérapeutique du patient (ETP), pour informer les patients, proches ou aidants. C’est une démarche de soins adaptée, les patients sont accompagnés pour une meilleure observance thérapeutique et une meilleure qualité de vie (c’est une sorte de partenariat entre le professionnel de santé et le patient/entourage).

 

Quand l’objectif est de vivre ‘aussi bien que possible’, l’éthique du care rend important et nécessaire un dialogue entre le patient et l’équipe médicale ; car préserver la vie sous toutes ses formes peut impliquer des « options concurrentes et incompatibles entre elles » (exemple des décisions lors du covid selon les pays, pour préserver un maximum de vies).

En effet, il faut considérer parfois divers facteurs lors de la prise d’une décision que l’on juge importante : en plus des notions morales de justice et d’impartialité, peuvent s’ajouter le souci de maintenir la relation alors que nos intérêts peuvent être divergents, et vouloir répondre à nos besoins ou à la morale de la situation particulière… En souhaitant le bien-être d’autrui, on construit un mode de pensée contextuel, qui s’attache à la situation concrète (Gilligan considère cette aptitude plutôt féminine).

Après l'image rassurante d'être une adulte compétente, autonome, en bonne santé le cancer fait surgir le rôle important des activités nécessaires au maintien de la vie au quotidien, ce sont des tâches souvent invisibilisées et effectuées dans la sphère privée (domestique).

Certaines tâches sont dévalorisées, d’ailleurs nous-même rejetons parfois notre dépendance à notre entourage !

Il est très complexe de reconnaitre sa vulnérabilité, surtout avec l’insécurité sociale générée par notre nouveau statut de malade…

 

Je me rends compte du côté néfaste dans notre propension à vouloir empiler les activités, comme une preuve de nos compétences, notre efficacité, alors que toutes nos actions sont interdépendantes : nous pouvons accorder du soin d’une manière courageuse (agir), mais au cours de notre vie nous pouvons également être récipiendaire de soins (recevoir).

Vivre bien suppose donc de comprendre qu’il n’y a pas les individus indépendants d’un côté (les autonomes) et les individus dépendants de l’autre (les vulnérables) ; nous sommes interdépendants, le care est donc une activité nécessaire pour le bon fonctionnement de la société….

 

Je suis de plus en plus sensible et consciente de l’apport des autres : j’ai parfois un surcroit d’émotivité (ne plus me rappeler de mon mot de passe de mon PC pro m’a fait déborder émotionnellement, tremblements et pleurs pendant 15-25mn, car je ne pouvais réaliser une tâche administrative dans les temps), une hypersensibilité qui se réveille également dans mes rencontres avec les autres. Dans le hall de l’immeuble avant de monter voir la généraliste, j’ai senti le côté lumineux d’une personne souriante et bienveillante (et je lui ai dit le bien qu’elle me faisait) ; au restaurant j’apprécie les attentions des serveuses, et du serveur qui prend le temps de me demander comment je vais (il m’a vue parfois en mauvais état, jusqu’à lui demander de couper ma viande, car problème de crampes aux mains) ; je mets également un point d’honneur à dire bonjour, sourire et remercier dans tous les commerces où je passe (et d’ailleurs j’ai des retours charmants) = je dis souvent que l’on récolte ce que l’on sème, surtout lorsque l’on considère les autres !

Lors de mes hospitalisations j’ai discuté longuement avec le personnel, peut-être parce que plus dépendante (en isolement en période d’aplasie – sans défense immunitaires), pour les connaitre un peu plus : j’ai récolté énormément, car une ASH charmante (Agente de Service Hospitalier) prenait soin de ma chambre mais aussi de moi avec ses attentions et ses sourires, elle m’a même proposé de chercher mon sirop préféré (impossible à trouver, elle a recherché dans plusieurs magasins).

Depuis elle a encore de belles attentions lors de mes visites de contrôle à l’hôpital (que j’ai un souci ou non, tel m’asseoir en catastrophe par terre car trop fatiguée après un long couloir, sans possibilité de pause) ; j’ai d’ailleurs souhaité lui témoigner ma reconnaissance (des cadeaux que je crois originaux : des chaussettes de compression rigolotes, un bracelet rose esprit octobre rose, un porte clé jeton de caddie de mon association lol) car j’ai le sentiment qu’elle m’enveloppe de sa bienveillance.

 

Je suis effectivement très sensible donc aux notions de care produit et de care reçu.

Avec les progrès de la recherche médicale qui facilitent la prise de traitements en autonomie (médicaments oraux – per os – ou en injection sous cutanée), il y a un nouvelle ‘distribution’ du care lors de la délégation de soins à domicile (HAD – Hospitalisation à Domicile) ; en effet, le malade et la famille doivent s’investir et moins le personnel de santé, de plus, il y a perte d’une part de l’intime du malade, vers une promiscuité au niveau familial, mais cette autogestion n’est pas toujours souhaitée ni bien vécue.

Le care serait une action protectrice et aidante par la famille, qui permettrait un rééquilibrage des relations, facilitant le quotidien des patients pour finalement plus d’autonomie... A contrario, si l’entourage devient trop surveillant, même si le care est bien intentionné, la ligne est mince entre accompagner et infantiliser ; si le malade n’a ‘rien’ demandé il peut rejeter en bloc un ‘soutien’ trop pressant et autoritaire (un care trop intrusif). Revoilà mon élastique des relations, encore plus subtile à doser dans le domaine du soin personnel.

D’un autre côté, ce qui m‘ennuie, c’est que l’on ne comprend la notion de care que lorsqu’il n’y a plus de solution de soin, notamment pour des pathologies chroniques ou cancers incurables … on pense inévitablement à la perspective des soins palliatifs ; mais c’est bien avant qu’il est nécessaire et vital de s’occuper de soi ou de s’occuper des autres !

 

J’ai interviewé pour le bulletin de l’association AF3M une infirmière de pratique avancée (IPA) en hématologie qui voyait un intérêt majeur à sortir de la pratique uniquement technique des soins des tâches d’une infirmière, le plaisir de monter en compétences mais surtout l’analyse et la prise de décisions, sans oublier les relations humaines plus développées (des entretiens avec les patients de 45mn en général, ça fait rêver un peu, n’est-ce pas ?).

J’espère toujours un monde idéal, et une meilleure prise en charge des patients dans toutes leurs dimensions ; TOUT ne peut venir du milieu médical uniquement, je comprends la nécessité des ateliers d’ETP30 pour que les patients deviennent autonomes, on parle parfois d’empowerment, pour que le patient devienne acteur de son parcours et de sa maladie… il s’agit donc d’aider les personnes (malades ou entourage) à avoir les armes pour prendre leurs propres décisions et faciliter l’adhésion…

Déjà de nombreuses activités sont proposées par des associations pour aider les patients à exprimer leurs difficultés et mieux vivre leur quotidien : par exemple, des cours de relaxation, de l’art thérapie ou des moments pour prendre soin de soi, de sa peau et de son image…

 

      5.2   Le counseling

Les malades de longue maladie sont confrontés à de nombreux problèmes et doivent parfois prendre des décisions très importantes pour leur ‘futur’ ; on pense d’abord à l’écoute, l’empathie mais parfois les personnes que l’on rencontre veulent donner leur avis : « tu devrais faire ci, ou faire ça », je ne parle pas de ceux qui vous conseillent sans même connaitre votre pathologie ni vos contraintes physiques.

Le counseling [31] c’est faire en sorte que le malade mobilise ses propres ressources, trouve lui- même la solution adaptée à sa situation pour se maintenir en santé.

Il est possible d’accompagner la personne dans cette démarche, de la guider sans l’orienter selon notre propre mode de fonctionnement, chemin complexe s’il en est, même si l’objectif bien intentionné vise à aider les personnes à mieux vivre leur quotidien.

C’est aider à accepter une maladie grave (de longue durée, handicapante, avec altérations corporelles etc.), à la gérer par l’apprentissage des démarches de soins avec le milieu soignant, et à prendre en compte son contexte de vie, tout en respectant son individualité (en évitant d’être directif).

 

Cela me rappelle l’exercice d’écoute de 10mn sans dire un seul mot, la personne en face peut formuler ses idées, ses sentiments… c’est son parcours qui prime (alors que j’ai tendance à calquer ma propre expérience lorsque j’écoute), il s’agit de porter un regard bienveillant pour conserver un échange honnête ; c’est penser que c’est le malade l’expert puisqu’il se connait mieux que quiconque.

La personne (le patient) est perçue comme ayant des ressources (potentiel humain) à partir desquelles elle peut faire face aux challenges et défis qu’elle peut rencontrer dans la vie. (Schneider-Harris, 2007)

 

Le patient partenaire (PP) peut alors jouer un rôle pour aider à la compréhension et l’expression des problématiques du patient : les relations sont plus spontanées avec les infirmières car les patients les côtoient souvent, mais la confiance peut s’établir également avec un pair au parcours similaire rendant fluides les échanges pour parler des problèmes et défis provoqués par la maladie et les soins.

Ce lien de confiance permet d’obtenir une participation effective du patient ; en prenant le temps d’écouter ses désirs, de l’aider à d’identifier ses capacités, il devient plus autonome pour gérer par exemple certains soins et adapter ses actions quotidiennes pour conserver ses habitudes de vie.

Le counseling intègre le changement de comportement non seulement dans ses objectifs mais comme faisant aussi partie des objectifs de toute personne confrontée à une maladie grave à pronostic incertain. (Tourette-Turgis C. , Counseling en France : des pratiques en mouvement, 2002)

 

On voit que tout ce que nous avons vu précédemment est lié : grâce aux progrès de la médecine de plus en plus de malades sont mieux pris en charge, ils sont en phase de ‘rétablissement’ mais doivent cependant s’adapter pour (re)prendre leur place dans la société qui n’a pas développé les outils de réinsertion adéquats (dans la société au sens large, ou au sens de l’entreprise) ni pensé à la variabilité de leur statut (handicap, assurances, emprunts bancaires etc.).

Ainsi, une population grandissante de malades chroniques se retrouvent confrontés à vivre avec l’incertitude et à devoir se battre pour recouvrer trois santés essentielles à leur bien-être : la santé physique, la santé sociale et la santé psychologique. (Tourette-Turgis C. , Counseling en France : des pratiques en mouvement, 2002)

 

Les malades doivent continuellement s’interroger au niveau médical et social : leur contexte personnel changeant selon les évolutions de la médecine ils doivent se réinventer en continu, selon leur étape dans leur parcours de soin. Je dirais transformer l’essai (je suis championne de France de Rugby – Chilly Mazarin 1990) 😵.

 

J’aime la notion de ressources invisibles déployées pour se maintenir en vie, ou plutôt dans une qualité de vie qui nous convient (je repense à l’invisibilité des tâches réalisées par les femmes au foyer, « qui ne font rien »), surtout quand on a une maladie dite chronique. Le myélome multiple, est une maladie rare incurable que l’on peut traiter, et qui dans certains cas peut être considérée comme une maladie chronique avec des phases symptomatiques (à surveiller ou à traiter rapidement) : il faut intégrer des périodes de calme et ‘vie normale’ sociale et intégrer la possibilité de périodes de soins intenses nécessitant une organisation spécifique – vient alors l’importance de la trajectoire de rétablissement ; je suis en ce moment une malade en bonne santé lol

Cependant, j’ai le sentiment de ne plus être dans le même espace-temps que les ‘autres valides’ : je dois mettre en place une organisation personnelle à l’écoute des nouvelles contraintes imposées par mon corps (qui induit des difficultés cognitives), cette adaptation ‘de force’ m’oblige à une autre notion du temps, et à planifier des intervalles de repos. La plupart des malades mettent en avant un sentiment de perte de capacités ; le simple fait de le vouloir ne suffit plus pour passer au-delà des signaux d’alerte envoyés par notre organisme.

Le malade peut se retrouver dans un conflit entre une nouvelle temporalité physiologique qu’il découvre et une temporalité sociale qui vient lui poser problème, car tout à coup il n’est plus sûr de pouvoir compter sur sa durabilité biologique pour assurer sa durabilité sociale en termes d’investissement professionnel, économique, parental, affectif. (Tourette-Turgis C. , 2017)

Les tâches réalisées par les patients correspondraient à un travail invisible, le sociologue américain Anselm Strauss (1982) introduit la notion de « travail du malade » à l’occasion du parcours de soin (un travail inaperçu des professionnels). Catherine Tourette-Turgis (2017) y ajoute la « dimension productive » de l’activité du malade [32] dans son maintien en vie (ces ressources n’étant reconnues ni socialement ni économiquement).

Une compétence, lorsqu’elle est acquise dans l’adversité, a la même valeur qu’une compétence acquise dans un dispositif de transmission verticale de savoirs et de compétences. (Tourette-Turgis C. , 2017)

 

Cette construction de maintien en vie est tout de même approchée quand pour un parcours de soin nécessitant une hospitalisation ou une observance des traitements à domicile on s’interroge sur les capacités du patient à être absent de son domicile (s’il y a un animal de compagnie par exemple) ou au contraire à pouvoir se prendre en charge en toute autonomie à domicile (comme moi, célibataire handicapée avec un domicile avec étages) – et prévoir un établissement de soins de suite !

A l’ère de la productivité, du nombre croissant des personnes diagnostiquées d’un cancer qui peuvent sinon guérir être en rémission/rétablissement, se pose la question de la reconnaissance des compétences acquises lorsqu’on a une maladie de longue durée ; les malades à travers les associations partagent des compétences, un certain ‘savoir vivre avec’ qui ne vient pas de l’organisation académique. A ce titre l’Université des Patients - UdP (dès 2009 à l’université Pierre et Marie Curie à Paris - UPMC, aujourd’hui à Sorbonne Université), considère que les malades sont des ‘agents du développement’ en proposant des cursus diplômants, et je confirme mon statut d’étudiante est un fort levier d’estime de moi et peut m’aider à réévaluer mon statut semi-invisible au sein de la Cité (je suis étudiante en fac de médecine, Sorbonne Université, je brandis souvent ma carte d’étudiante).

Catherine Tourette-Turgis note l’intérêt de reconnaître l’expérience des malades, puisqu’ils ont développé certaines compétences pendant leur parcours de santé, qui pourraient être transposées au niveau professionnel et reconnues dans d’autres métiers : avec l’UdP- Sorbonne Université elle a décidé d’aller plus loin, et a un projet d’étude en cours pour établir un Bilan de Compétences sensible aux cancers féminins, récompensé d’ailleurs par l’association Ruban Rose (octobre 2023).

L’idée innovatrice est d’aborder « cancer et travail » du point de vue des femmes « en créant des guides d’entretien avec les femmes concernées … sur toutes les composantes qui facilitent ou sont des obstacles au maintien ou à la reprise du travail pendant et après un cancer » (Tourette-Turgis C. , Catherine Tourette-Turgis reçoit le Prix Ruban Rose, 2023).

J’apprécie l’idée de valoriser mon parcours de malade au long cours sur mon CV avec de nouvelles compétences développées, qui pourraient être reconnues par le monde du travail.

[29]. Gilligan, C. (1982). Une voix différente. Pour une éthique du care (In a Different Voice: Psychological Theory and Women's Development). Harvard University Press.

[30]. L’Education Thérapeutique du Patient ETP est pour « aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique » (OMS, 1998).

{31]. Les Américains utilisent le mot counseling avec un « l », les anglais en mettent 2 : counselling.

[32]. D’après Pierre Pastré et ses études sur le travail et « l’apprentissage par confrontation à des situations ». Pastré, P. (2008). La Didactique professionnelle : origines, fondements, perspectives. Travail et Apprentissages, 1, 9-21. https://doi.org/10.3917/ta.001.0009

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