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Les outils du Patient Partenaire

EXTRAIT de l'écrit réflexif rédigé par une malade chronique, pour amorcer une réflexion, une discussion.... puis pour informer, soutenir, "évéiller" les malades et leur entourage !

EXTRAIT de l'écrit rédigé par Anne DD

RAPPEL : ceci est un récit personnel d'une malade du myélome multiple; ses reflexions et son évolution grâce aux outils présentés lors de la formation de Patient Partenaire à l'Université des Patients - Sorbonne Univesité [année 2023-2024]

MOMENTUM CHAPITRE 4

Pierres de soins spa

Chapitre 4.

Le concept de rétablissement dans le cancer

Les 6 dimensions :

4.1. médicale & psychologique

4.2. professionnelle

4.3. économique

4.4. sociale

4.5. conjugale et familiale

4.6. existentielle

4. LE CONCEPT DE RÉTABLISSEMENT DANS LE CANCER

Un concept fortement entré en résonnance dans mon parcours, et surtout les dimensions associées qui « m’interpellent au niveau du vécu », j’en parle partout où je vais et à tout type de personne (aux membres de l’association AF3M, aux malades du myélome et leur entourage, aux infirmières, aux professionnels en congrès de santé…).

Tout d’abord, je suis honorée d’avoir rencontré et de connaître Catherine Tourette-Turgis qui travaille depuis des années à développer l’Education Thérapeutique du Patient (ETP) [21], qui mène de nombreux travaux de recherche et également forme des malades du cancer, et qui avec l’équipe pédagogique de ce DU nous a présenté le concept de rétablissement.

En effet, les trois millions de personnes ayant survécu au cancer en France constituent une population avec des besoins spécifiques non satisfaits … Lorsque la maladie disparaît, la guérison de soi, ce que nous appelons le rétablissement, nécessite un travail de la personne concernée, de ses proches, de son environnement et de la société tout entière. (Tourette-Turgis, Soins et Compassion - Penser le rétablissement, un impensé dans le soin, 2021)

 

Quand on est malade d’un cancer (et même de plusieurs), on pense d’abord comme presque tout le monde qu’il n’y a que 2 faces : on est malade, on se soigne - on est guéri, et on redevient comme ‘avant’ ; il y aurait donc 1 face de la pièce on est malade, et 1 autre face on n’est plus malade et ’normal’, ce serait une parenthèse, un moment à passer pas évident mais un peu ‘forcé’. On peut peut-être être sensible et vouloir éviter le côté stigmatisant de ce nouvel état qui nous est imposé !? J’ai un cancer hématologique incurable, que l’on peut traiter MAIS pas guérir ; je n’aime donc pas le mot de rémission et encore moins de guérison (même si certains peuvent être tranquilles plusieurs années, les statistiques ne sont pas pour nous malades du MM). Ce sentiment un peu ‘obligé’ par la société qui suggèrerait qu’il y a une fin n’est pas adapté, on parle d’ailleurs d’après cancer !

 

Venant de l’expérience en santé mentale, la notion de rétablissement (recovery, en anglais) est venue remplacer celles de stabilisation et de réhabilitation. C’est aussi l’expérience apportée par les malades du sida, leurs traitements restaurant l’immunité mais pas la vie qui va avec. Sans oublier également les survivants de la Shoah, qui ont vécu un sacré évènement de rupture dans leur vie et ont cependant dû ‘aller de l’avant’.

Pendant et après les traitements en cancérologie, il faut encore déployer de l’énergie pour se rétablir et chacun trouve ses propres astuces pour aller mieux tant bien que mal. L’arrêt des traitements n’induit pas l’arrêt des symptômes ou des effets indésirables persistant ‘après’, il s’agit de rassembler ses forces pour réorganiser sa vie et son rapport aux autres.

Le changement de rythme voire la rupture avec l’hôpital et la fréquence des consultations nécessitent d’élargir la vision, de sortir de la santé ‘stricte’ allopathique pour penser au développement de la personne, qui doit se réorganiser au niveau personnel, social et professionnel.

Le rétablissement caractérise le devenir de la personne (Tourette-Turgis, Le rétablissement en oncologie, regards croisés, 2023), d’autant que l’entourage d’un malade est aussi ‘touché’, environ 4 personnes autour de lui : la première année après le traitement est plus difficile que le traitement lui- même. On parle de concept de survivant et de co-survivant (ex. dans le cancer de l’enfant).

 

Les besoins non satisfaits à la fin du traitement sont liés aux incertitudes (le futur), aux peurs (la récidive), à l’anxiété générée, le manque d’information sur ce qu’il y a à faire pour aller mieux.

On parle rarement du difficile et complexe travail de guérison et des différentes dimensions à soutenir, restaurer, réparer, pour parvenir à un rétablissement optimal de soi et de ses proches, voire de tout son environnement. (Tourette-Turgis, Soins et Compassion - Penser le rétablissement, un impensé dans le soin, 2021)

Patricia Deegan [22], patiente, précise que pour se rétablir il est essentiel de se définir indépendamment de la maladie mentale, elle décrit le rétablissement comme un long processus composé de plusieurs étapes se succédant jusqu’à la restauration de la volonté d’agir.

En terme de maladie : le rétablissement signifie être guéri, il dépend de la médication et il a pour but de revenir à l’ancien moi.

En terme de bien-être : le rétablissement signifie se prendre en main, c’est un processus et il a pour but d’évoluer vers un nouveau moi. (Association Le Phare, Saint-Hyacinthe (Québec) - billet ‘Qu’est-ce que le rétablissement en santé mentale ?’)

 

Le rétablissement a plusieurs dimensions :

֍ aux Etats-Unis on présente 4 dimensions (Nicolas Franck, Remédiation

cognitive et rétablissement dans les troubles psychiques sévères, 2017

- adapté de Van der Stel 2012),

֍ au Québec 5 dimensions (Rob Whitley et Robert E. Drake, Recovery : A Dimensional

Approach, 2010) et

֍ en France dans ce DU, l’équipe pédagogique [23] nous a présenté les 6 dimensions

du rétablissement (Tourette-Turgis, Le rétablissement en oncologie, 2022) ;

     4.1  La dimension médicale et psychologique

La dimension clinique est en lien avec la notion de rémission, impliquant une meilleure gestion des symptômes. Cela s’applique à peu près à mon cancer hémato, dans la mesure où après une urgence relative (stade avancé, maladie déclarée et significative) après un protocole intensif on peut encore avoir un traitement de maintien (phase d’entretien ou de maintenance) ou ‘juste’ avoir un suivi biologique (prise de sang tous les 3 mois – l’impression de passer son BAC à chaque fois, avec le stress des résultats).

C’est un cancer incurable, donc outres les effets indésirables il y a l’angoisse de la rechute, et à quel moment (surtout si on ne comprend pas les analyses de sang et que l’on a un référent peu expressif – le « tout va bien », même si les indicateurs évoluent, sic).

Après l’annonce du cancer, les changements divers, il faut également gérer l’idée que ce ne sera jamais la fin… l’importance pour moi de comprendre ma pathologie et de connaitre les progrès de la recherche (chance de ne pas avoir une maladie orpheline, qu’en une dizaine d’années de nombreuses molécules sont apparues grâce à la recherche, de plus j’ai constaté que les cancers hématologiques sont un marché intéressant, en ‘ajoutant’ au myélome, les leucémies et lymphomes qui ont un peu le même type de dysfonctionnement).

 

L’état physique, est également un grand questionnement et je trouve lié à l’état psychique, on pense souvent que si tu as le moral tout va ! On constate que ce n’est pas tout à fait pertinent quand on a basculé dans le monde du cancer et des traitements qui chamboulent, la forme physique vacillante, l’état moral montagnes russes et les interrogations sur le lendemain (les jours qui suivent ou dans plusieurs mois).

Je rappelle souvent que seule une personne qui a eu un cancer CONNAIT la fatigue liée au cancer : j’appelle cela être fatiguée en dedans. Alors après une rechute (et d’autres futures prévues au programme, en l’état actuel de la recherche médicale), j’ai constaté que mon organisme en avait pris un coup, ma condition physique est moins bonne et j’avoue que j’ai un peu laissé tomber (pas de motivation pour aller régulièrement chez le kiné pour tenter de redevenir une jeune plante verte dynamique).

     4.2  La dimension professionnelle

    Elle concerne notamment les capacités fonctionnelles ; ce qui est majeur dans le myélome multiple : d’abord la maladie elle-même a des impacts au niveau immunité, rénal et osseux (des trous dans les os plats et longs, aux fractures, jusqu’à la compression de moelle épinière), puis les effets des cocktails donnés à fréquence régulière (quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle) qui selon la personne détraquent l’organisme de manière variable (diarrhées, nausées, douleurs diverses…).

L’interrogation personnelle concerne notre maintien dans notre fonction (en entreprise, consultant ou à son compte), surtout en cas de travail physique intense, les aménagements de poste et/ou d’horaires (merci le covid, au bout du compte, le télétravail étant maintenant plus facilement considéré par le management et les RH), et la discrimination par petites touches (« ah ! tu es là aujourd’hui ? », « tu as été absente, tu as pu partir en congés ? »,

« ah ! je ne peux pas te mettre sur ce projet, il faut que tu sois disponible… ») ou plus frontale (« tu as une sale mine tu devrais te reposer », « tu as maigris tu as de la chance »,

« je ne te mets pas sur le planning, comme tu seras peut-être en arrêt ! »).

S’ajoute aussi une réflexion sur le périmètre de notre travail, du partage de nos tâches par les autres membres de l’équipe, et au bout du compte ces petites discriminations qui peuvent donner un sentiment d’injustice (mon bureau utilisé par un autre collègue, mes appareils débranchés pour utiliser la table de réunion éloignée de la prise de courant – je retrouve mon casque sans fil non chargé), et l’absence totale d’évolution (pas d’augmentation).

 

    Je note également le décalage entre la communication institutionnelle de ma grande entreprise concernant le handicap (l’organisation d’une semaine du handicap), le soutien des populations pauvres dans d’autres pays (soutient à l’éducation des enfants, ou réparation du toit d’une maison), mais aucun soutien pour une personne ‘devenue’ handicapée et/ou ayant une longue maladie dans l’entreprise (que dire lorsque cette maladie est invisible) …,

     4.3  La dimension économique

    Encore une fois le mot ‘chance’ me vient à l’esprit, et surtout MERCI à mes parents qui m’ont botté les fesses pour étudier, m’ont soutenu (école privée et chambre chez l’habitant) et montré l’exemple (l’importance du CV, des possibilités de formation internes et d’acquérir des connaissances transverses).

On découvre ce monde administratif français, qui oui, peut prendre en charge en partie MAIS qui a de nombreuses subtilités que ne l’on découvre qu’une fois arrivé au bord du précipice ! C’est le moment opportun de se comparer et de constater que même si la France est sociale, le parcours personnel précédent impacte fortement notre devenir quotidien et financier.

Un cancer est une ALD, une affection longue durée, au sens Sécurité Sociale (SS), pour cela c’est le médecin référent qui doit préciser les informations (ma généraliste peut remplir la demande via flux informatique, ce qui n’est pas le cas de tous). Cette demande est à renouveler, pour une prise en charge des traitements à 100% MAIS pas ce qui sort de la codification SS, comme un collier cervical C2 ou C4 (la jolie minerve rigide qui bloque le menton) qui est considéré comme un confort. Celui qui n’a pas changé d’entreprise et a une mutuelle est plus serein… que dire de l’entrepreneur ?

La bascule de l’arrêt maladie à l’invalidité : un moment pas facile à gérer intellectuellement, car ce n’est pas seulement un changement de statut, mais bien également un changement financier majeur. Accepter un cancer prend à la louche 9 mois, selon mon constat personnel en contact avec de nombreux malades, faire une demande RQTH n’est pas toujours évidente pour certains (c’est reconnaitre le problème), passer à un niveau d’invalidité cela m’a pris environ 2 ans à accepter ; c’est une nouvelle fois changer de statut et se mettre une étiquette. Une confirmation de notre employabilité incertaine, et la possibilité qu’il n’y ait aucun retour en arrière, à l’AVANT diagnostic ! D’ailleurs tout malade a cette date marquée au fer rouge dans sa mémoire.

Le calcul de la pension d’invalidité, moyennée sur 10 ans… OUPS ! Je pense à un ami malade qui est intermittent du spectacle, une bataille de longue haleine pour avoir une petite pension. Un autre malade indépendant, avec emprunt pour son entreprise, dont l’assurance et la prise en charge sont liées à son statut médical. Un autre encore qui se sépare de sa moitié mais ne peut pas racheter sa part de la maison familiale car il a un cancer in-cu-ra-ble.

 

Ces mots qui changent tout quand on a un projet de VIE : prendre une assurance auto (« votre surpoids madâââme »), partir en vacances dans un pays étranger hors UE

(« prenez-vous une assurance complémentaire, une assurance rapatriement ? »), souhaiter prendre un emprunt pour de menus travaux ou pour acheter un logement. OUPS encore ! La problématique du retour à l’emploi à temps complet ou partiel a des ramifications financières présentes et futures : une gestion du budget essentielle.

Quand mes analyses de sang ont annoncé une rechute dans un temps semi-proche, j’ai essayé de mettre de l’argent de côté, en prévision d’un retour au travail en temps partiel thérapeutique (décalage notoire des délais de paiements si on a plusieurs interlocuteurs : entreprise, sécurité sociale, mutuelle et/ou prévoyance – jusqu’à 3 mois de retard, et la notion subtile de terme échu. Et rien n’est acquis, j’ai encore des aléas, par exemple cela fait 2 mois que je ne suis pas payée par la prévoyance).

 

Il y a l’inquiétude d’être en conformité avec la loi : dois-je obligatoirement dire à mon banquier que je suis malade concernant mon emprunt en cours (même si par les origines des versements sur mon compte cela semble évident) ? On découvre un nouveau monde avec la notion de droit à l’oubli (ben non, mon cancer touche majoritairement les personnes âgées, et est incurable), la convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) qui a une grille adaptée aux statistiques médicales d’une population de référence (confirmation je sors des ‘normes’).

La nécessité de se plonger dans l’administratif pour vérifier ses droits et prises en charge possibles en cas de maladie prolongée : ces petits pics quotidiens, tels pour un alcoolique qui doit lutter contre les sollicitations du relationnel en société, « avec la baisse des taux tu peux renégocier ton emprunt, non ? », ben, euh, je dois renégocier mon assurance emprunteur puisque je suis une personne à risque (au bout du compte peut-être bien plus cher) !

On se construit des échappatoires, le mien a été de laisser courir, quitte à payer plus, mais sans surcharge intellectuelle ni émotionnelle. Chaque nouveau malade en contact avec l’association me ramène à cette question, et l’inconfort de n’avoir PAS agi en conséquence.

     4.4  La dimension sociale

    Par social, on pense généralement ’aide’ ; mais il n’est pas évident de savoir demander de l’aide, d’abord peut-être par peur (peur de demander, d’avoir l’air bête ou ridicule, peur de montrer qu’on est diminué…), parce qu’on ne sait pas comment l’exprimer en mots, mais je remarque parfois par ignorance. Par exemple, on ne songe pas à l’assistante sociale à l’hôpital, celle de sa mairie ou de l’entreprise, qui peut aider à détricoter la pelote administrative et orienter vers les démarches utiles et adaptées à notre cas.

Une aide peut être nécessaire pour mettre de l’huile dans les rouages, nous soutenir sur les aspects pratiques et cruciaux, pour une meilleure intégration dans ‘le monde’.

 

Il y a également les liens relationnels qui sont importants, au niveau intellectuel et pour le moral. J’ai pu noter la différence de mon état : devant aller à un rendez-vous pour un témoignage vidéo pour une start-up, j’avais du mal à me trainer à la perspective de la distance, de prendre les transports en commun, puis de marcher dans un quartier inconnu (de plus, il y avait un faux plat) ; j’ai rencontré diverses personnes, j’ai échangé, je me suis reposée un peu, puis le trajet du retour m’a semblé presque plus court, j’étais plus dynamique et sautillante, chaque foulée un peu plus longue que lors du trajet aller.

Nous sommes des animaux sociaux, ne pas échanger peut nous renfermer et au contraire discuter nous ouvre sur les autres et je suis convaincue que cela nous aide également au niveau cognitif. Les interactions sociales me font du bien (à petite dose), peut-être suis-je encore une enfant en cours de développement, je dois réapprendre à communiquer avec le monde extérieur que je perçois comme étranger et parfois agresseur (un peu sur les bases de ceux qui ont un trouble du comportement [24]).

 

On nous conseille de garder des liens avec le milieu professionnel pour ne pas perdre le contact, et être au courant d’éventuelles évolutions d’organisation, mais on se rend compte que nous avons versé dans une sorte de monde parallèle, et une échelle de temps ralentie (liée à notre forme physique et morale). C’est un moment étrange de venir voir les collègues qui ont une charge de travail intense (peut-être même à cause de nous), et on ne s’informe pas vraiment de tous les rouages car notre bosse sur le dos est déjà bien pleine !

 

Il y a également les petites discriminations quotidiennes d’avoir un handicap invisible : les gens qui vous passent devant chez le commerçant de quartier, ceux qui vous regardent de travers quand vous souhaitez doubler à la caisse priorité handicapés en supermarché. Je me souviens qu’au début je n’ai pas osé (l’évitement pour ne pas avoir à justifier et argumenter), puis je m’asseyais par terre tremblante dans la file d’attente, c’est au bout de 2 ans que j’ai osé utiliser ma carte CMI [25] (pourtant demandée très tôt) ; maintenant je brandis mes nouvelles armes de ‘signe extérieur’ avec ma canne et mon tabouret télescopique pour attendre plus sereinement (et ma minerve pour les transports en commun ou les voyages). Le regard des autres change, et finalement c’est plus simple… certaines personnes me regardent l’air triste et me plaignent !

 

Je constate aussi la nécessité de s’adapter au milieu soignant et de monter en compétences avec un nouveau vocabulaire, cela m’a permis de me rassurer, de digérer et de pouvoir restituer à mon entourage ; un moyen de rester dans ce ‘monde des normaux’.

En effet, je me suis trouvé un moteur (certains malades ont la volonté de ne pas montrer leur vulnérabilité, considéré comme une faiblesse et graine pour l’inquiétude et autres angoisses de soi et des proches), ce besoin d’appartenance, de servir à quelque chose dans la société : j’ai été éduquée avec l’idée d’avoir un travail pour être autonome, de travailler et cotiser pour avoir une bonne retraite (même si en 1990 au moment où j’ai commencé à travailler planait déjà l’idée d’une baisse drastique du futur montant de la retraite), avec la maladie et surtout la rechute avec passage à un nouveau statut (invalidité niveau 2, avec toutes les projections intellectuelles que l’on se fait, de ce que l’on pense comme nouveau statut dans LA Société).

J’aime la notion de synchronicité, j’ai eu besoin de me rendre utile (pour ne pas avoir le sentiment d’être inutile complètement, presque à jeter), j’ai d’abord pensé aider dans une association proche de chez moi, cela ne m’a pas convenu (je ne pouvais pas être moi, il fallait que je fasse attention à chaque mot, chaque attitude qui pourrait être incomprise des bénéficiaires. BEUH !), et j’ai commencé à m’investir auprès de l’association de malades liée à ma maladie (l’AF3M) au moment où il y avait une refonte du site internet et un besoin de compétences spécifiques (j’ai une formation télécoms, et j’ai commencé mon parcours professionnel par du développement logiciel).

Mon hématologue m’a un moment demandé de m’éloigner de l’association (je sais qu’elle avait une autre patiente, bénévole dans la même association, qui a fait un burn out), cela m’a amenée à réfléchir sur mes besoins, et j’ai remarqué qu’au contraire cette participation très active est une composante importante de mon équilibre, et ce toujours depuis plusieurs années. Parce que je n’ai pas le sentiment de stagner dans mon état de malade-en invalidité- fatiguée, et qu’au contraire j’apprends et monte en compétences dans un domaine que j’ai toujours apprécié. Pendant la terminale où l’on se pose la question de l’orientation professionnelle, on analyse ses envies qui pourraient nous aider à bâtir un futur possible : je suis fascinée par la biotechnologie et les membres de remplacement – les prothèses – voire la biologie, telle la culture de peau pour les grands brûlés !

Alors j’ai la satisfaction d’être au bon endroit et d’utiliser mes capacités intellectuelles et sociales au mieux, dans une relation gagnant-gagnant !

     4.5  La dimension conjugale et familiale

     Le malade se doit de développer des capacités d’adaptation et la famille est également embarquée avec une alternance de moments de joie et d’espoir, de moments d’inquiétude, c’est un stress qui s’étend et prend plusieurs facettes selon les personnalités.

Il y a une nouvelle répartition des rôles au sein de la famille, chacun ne sachant pas comment faire avec une collection de non-dits, d’interprétation des silences, une volonté de compenser pour ne pas inquiéter (de la part du malade) ou la tentative de soulager l’autre au mieux (de la part de l’aidant naturel – conjoint ou enfant).

La qualité de l’environnement familial a un impact sur le psychologique de tous ses membres, j’ai noté parfois l’inversion des équilibres d’origine parmi des fratries, la sœur proche s’éloignant au contraire de l’autre rendant plus souvent visite à sa mère malade qu’à l’accoutumée (cette seconde sœur ayant eu un enfant récemment, a modifié sa sensibilité et ses relations avec sa mère, peut-on penser).

 

    Il y a ce paradoxe que l’on ne verbalise pas clairement, de vouloir que l’on prenne soin de nous malade, et que l’on nous laisse aussi de l’autonomie en oubliant la maladie. C’est une sorte d’élastique relationnel où on aimerait être considéré ‘comme d’habitude’ (sans regard de tristesse ni de plainte), parfois que l’on fasse plus attention à nous avec une écoute plus poussée de notre état (physique ou moral) ou le souhait d’être complètement assisté, en ‘vrai’ handicapé (même si on ne veut pas vraiment être une trop lourde charge). C’est étonnant comme ce va et vient de besoins/attentes n’est pas lié directement aux différentes phases de la maladie (diagnostic, traitements, rémission…), il me semble plus lié à l’impact émotionnel vécu et aux peurs (réelles ou supposées).

L’équilibre de mon système familial n’a pas beaucoup évolué pendant la phase intense de la maladie : positionnée toujours comme une enfant se référant à SA ‘maman-qui sait tout’ (Docteur en chimie qui s’intéresse au médical), un beau-père mettant à distance la maladie (récemment soigné d’un cancer très avancé avec des complications pendant la récupération post-opératoire), je pouvais ainsi me centrer sur moi uniquement...

 

    Ces cours m’ont aidée à comprendre un peu mieux mon fonctionnement, les imbrications de toutes ces dimensions, le poids de mon éducation et de la société. Quand j’ai été diagnostiquée, j’ai moi-même dit à mon ami qu’il pouvait me quitter (c’était une relation récente, et je comprenais le poids d’être proche aidant d’une malade d’un cancer incurable, sans en comprendre tous les aspects et l’investissement personnel nécessaire), alors comment espérer que mon entourage soit parfait quand moi-même je me mets des freins, même dans mes réflexions (alors dans mes actes n’en parlons pas lol) ?

Je reviens à l’élastique relationnel avec ses injonctions contradictoires (en dire assez mais pas trop), ma recherche d’un équilibre et parfois le besoin d’une routine qui me rassure : je fais souvent de l’humour en parlant du fait que je suis devenue ma grand-mère, à être rassurée par la routine (même les traitements en hospitalisation de jour – HdJ – à l’hôpital avaient quelque chose de réconfortant par leur répétition à une fréquence donnée), à râler sur les jeunes et le monde extérieur qui ne prend pas assez en compte les malades à maladie invisible et les personnes à mobilité réduite (PMR).

J’ai un amoureux mais nous vivons séparément, je ne sais si c’est un choix direct ou une acceptation positive de la situation : je trouve des avantages à cette situation, en ayant mon environnement personnel (donc mon bordel organisé dans mon home sweet home), en choisissant les moments de partage et surtout en collectionnant les moments gais et souriants. C’est aussi l’occasion pour moi de redevenir la petite chose faible quand je l’ai décidé, celle dont ‘on’ doit prendre soin, et prendre en charge presque complètement.

    Le cancer réoriente les priorités, mon univers professionnel n’étant plus adapté à ma forme physique et intellectuelle {26] (je découvre l’importance du pompage d’énergie par le cerveau) ni à ma volonté actuelle, je me suis recentrée sur MOI. L’importance de collectionner les instants agréables, pour habituer mon cerveau à l’optimisme.

Les professionnels chercheurs citent la Qualité de Vie du patient [27], mais c’est une notion que je pense un peu occultée par les malades, la priorité étant les traitements et ne pas mourir, même si avec la durée de la prise de traitement qui s’est rallongée (et sans date de fin annoncée dans les protocoles, le plus souvent) ; les effets indésirables des molécules ont un impact sur le quotidien pour de nombreux malades, mais ils restent la partie invisible de l’iceberg gênante pour certains malades (et peu pris en compte par le corps médical).

En bonne française, ma qualité de vie et de joie est liée à mon alimentation cocon avec une bonne dose de fromage. Ma solution est de combiner visite à l’hôpital et nourriture plaisir, pour n’engranger dans mon cerveau que les aspects positifs de ma sortie (le bon lieu, avec le personnel accueillant + la crêpe supplément chèvre ou les croustillants de chèvre).

 

    C’est assez tabou, et j’avoue que je n’ose me le formuler dans mon esprit un peu brumeux (vive le chemo brain ou chemo fog [28]) : centré sur soi on en oublie l’extérieur à soi, le relationnel et la sexualité avec notre moitié.

Proche du diagnostic et du début des traitements, je crois que j’ai souhaité que tout redevienne ‘comme avant’ et ‘normal’, j’ai pensé à varier les choses MAIS mon corps m’a bien rappelé que c’est LUI qui décide, alors j’ai noté le dysfonctionnement, puis avec le temps j’ai laissé passer (sans oublier cependant).

J’ai répondu à des questions pour une étude sur ‘sexualité et cancer’, j’ai dû alors plus réfléchir au sujet et mettre des mots : j’ai remarqué que ce n’était pas ma priorité en ayant un cancer incurable, mon énergie est principalement pour conserver un équilibre général, tout en gardant sourire et optimisme.

     4.6  La dimension existentielle

    Le rétablissement personnel, le sens donné à son existence, est propre à chaque personne : déjà 1 personne = 1 myélome, à un cancer s’ajoute la dimension existentielle très subjective ; retrouver ou non son ‘état d’avant’, accepter ou non les changements physiques

et sociaux… C’est le processus même de rétablissement pour trouver un équilibre et accepter les changements apportés par cet ‘accident’ de vie que créé la maladie pour soi et notre environnement. Redonner un nouveau sens à sa vie, réorienter ses priorités pour être suffisamment bien et satisfait ; je perçois le champ de la réhabilitation psychosociale et des outils divers pour nous aider à développer nos capacités et notre bien-être.

 

Je n’ai pas de vision précise, ce n’est pas un sujet abordé naturellement avec les malades au travers de l’association et/ou des réseaux sociaux, sans doute un autre tabou qui est un sujet peu partagé, c’est la spiritualité qui peut s’exacerber avec la maladie, comme une protection intellectuelle et une solution pour gérer les évènements que l’on ne maitrise pas.

Je me suis posé la question, puisque j’ai l’impression de gérer mon myélome différemment de la plupart des malades, avec optimisme et une note d’humour : peut-être par mon éducation par une mère vietnamienne ? A l’Asie on associe le bouddhisme, avec ma mère non-membre d’une communauté Viet, je ne connais pas bien cette religion (au Vietnam d’ailleurs il existe également le Caodaïsme – mélange étonnant de confucianisme, taoïsme, bouddhisme et une dose de christianisme) je ressens les effets de bords de sa façon d’être, avec un côté plus fataliste de la gestion des évènements. De plus, mon père un peu traumatisé par le catéchisme, je crois me souvenir qu’il m’a laissé le choix … je me balade quelque part entre agnosticisme (et non pas athée) et christianisme (j’ai été baptisée bébé), que j’adapte un peu dans le sens du caodaïsme ou du bouddhisme pour correspondre à mes capacités et mes besoins de l’instant (hi hi hi).

    Cependant je suis persuadée d’avoir un ange gardien sur l’épaule : pendant des années c’était mon père, maintenant c’est ma mère, encore très présente dans mon esprit.

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Même moi je le remarque j’ai mélangé des notions dans les 6 dimensions développées précédemment, car elles sont bien sûr très liées les unes aux autres. Intuitivement on se focalise sur la santé et le professionnel, d’avoir pris connaissance de la notion de rétablissement ET des 6 dimensions associées je comprends mieux le chemin complexe du malade ; et surtout je comprends mieux mon état actuel. Car j’ai effectivement fait la paix avec mon cancer, dans la mesure où j’ai compris comment MON myélome se comporte globalement et j’arrive à gérer les incertitudes (en comprenant mes analyses de sang et leur évolution – la cinétique) voire à rire de la possibilité d’une rechute (car la recherche avance beaucoup depuis une dizaine d’années, j’ai donc d’autres molécules et essais cliniques sous le coude) ; ces dimensions me font comprendre qu’il reste encore des aspects à régler, ce qui me rassure sur mon état/statut actuel.

J’ai cette interrogation régulière de légitimité : la légitimité d’être malade, de pouvoir de se plaindre, celle d’être soutenue par la société sans remord (j’ai une pension d’invalidité + un complément par la prévoyance, est-ce que je le mérite et n’abuse pas !?), ne dois-je point me botter les fesses pour ‘revenir dans le droit chemin’ et faire du sport et de la kiné à outrance pour retourner travailler, et reprendre ‘mon rôle’ dans la Cité !? Je ne me sens pas totalement incapable, mais je dois cependant m’organiser d’une certaine façon pour toute activité qui demande de l’énergie intellectuelle ou physique (lors de mon premier protocole de traitement, je n’arrivais même pas à décider de dates de vacances, je ne parle pas alors d’organiser un séjour). Je constate ainsi que je n’ai pas ‘réglé’ toutes les dimensions du rétablissement, ou du moins que leur niveau n’est pas équilibré.

Nous avons évalué nos 6 dimensions sur une échelle, faisant en représentation graphique une sorte d’araignée ; et j’ai pu visualiser le déséquilibre (ça tombe bien je suis une visuelle !). MERCI cher DU !

 

    Je ne sais pas encore si j’ai la volonté de tout régler, mais on sait dans ce monde de la maladie, qu’un diagnostic c’est déjà une bonne base, comprendre est déjà un début de solution. J’ai un peu le sentiment que ce fil d’Ariane va m’aider à avancer, et pourquoi pas me libérer de ce Minotaure !

 

Je pense à moi en tant que patiente actrice de son parcours, mais le système de soin devrait également m’aider dans toutes les dimensions de ce RETABLISSEMENT et à déployer de nouvelles capacités… Le nombre de plus en plus important de survivants du cancer va mettre l’accent sur ces manquements au soutien et à l’évolution du malade dans sa globalité et toute sa complexité, certains aspects à peine touché sur la prise en charge des malades dans les politiques publiques (et la notion d’après cancer, qui ne me parle pas vraiment).

Car comme le rappelle C. Tourette-Turgis, « on investit dans des thérapeutiques efficaces, de plus en plus coûteuses, en laissant au milieu du gué les personnes qui grâce à ces mêmes thérapeutiques passent d’un pronostic incertain à une survivance rétablie dans ses fondamentaux biologiques » (Tourette-Turgis, Soins et Compassion - Penser le rétablissement, un impensé dans le soin, 2021).

[21]. Blog de Catherine Tourette Turgis https://www.touretteturgis.com/

[22]. Deegan, P. E. (1997). Recovery and Empowerment for People with Psychiatric Disabilities. Social Work in Health Care, 25(3), 11–24. https://doi.org/10.1300/J010v25n03_02

{23}. Université des Patients, Sorbonne Université: Catherine TOURETTE-TURGIS, Lennize PEREIRA-PAULO, Marie Paule VANNIER. Présentation synthétique par Comment Dire, http://www.commentdire.fr/wp-content/uploads/2022/05/02_Diaporama_Re%C2%B4tablissement.pdf

[24]. Carpentier, T. & Desbiens, N. (2021). La communication sociale chez les enfants présentant un trouble du comportement : une avenue vers des interventions prometteuses. Enfance en difficulté, volume 8, 47–70. https://doi.org/10.7202/1075506a - Université Laurentienne

[25]. La carte mobilité inclusion, mention « priorité », informations sur le site d’information officiel https://www.monparcourshandicap.gouv.fr/aides/la-carte-mobilite-inclusion-mention-priorite

[26} Tiens ? N'ai-je pas écrit l’inverse, à savoir que c’est MOI qui devais m’adapter à mon univers professionnel. Quelque part je suis fière !

[27]. Selon la définition de l’OMS (1993) et comme mesure de la qualité de vie (Quality of Life, QoL) comme une dimension dans l’évaluation du bénéfice des interventions de santé (~2000).

[28]. Chemo brain : troubles de concentration, de l'attention, de la mémoire ou de la résolution de problèmes

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